Les arcanes du bad buzz ou l’art de nuire à l’hygiène des mains en France
Deux ans presque jour pour jour après le premier coup de grisou médiatique autour des solutions hydroalcooliques voilà que l’histoire se répète avec un scenario et une mécanique quasi similaire. A l’époque le Plus de l’Obs fut le seul à avoir une approche journalistique de la situation, au sens de la vision citoyenne que j’en ai, à savoir que sa journaliste fut l’unique représentante de sa profession à nous interroger pour avoir un regard contradictoire sur des assertions d’allures définitives.
Comme en 2015, l’affaire repart d’un article américain publié dans Environmental Health Perspective cette fois d’un niveau scientifique de meilleure qualité d’ailleurs. Suite à l’interdiction en 2016 par la FDA américaine dans les savons antiseptiques grands publics de deux produits à visée antimicrobienne que sont le Triclosan et le Triclocarban des scientifiques se mobilisent pour l’élargissement de cette mesure. Ils rappellent que cet usage dure depuis des décennies et que l’on en trouve encore dans plus de 2 000 produits comme des savons, des dentifrices, des détergents, des habits, des jouets, des tapis, des plastiques et des pentures. A aucun moment il n’est fait mention de gels ou de solutions hydroalcooliques dans cet article.
Pour autant ils furent à nouveau la cible d’un « bad buzz » médiatique de grande ampleur. Dans ce déferlement en chaine il n’est jamais aisé de trouver le déclencheur mais je me risquerais à dire qu’il s’agit du média très connu et lu 20 minutes dans son post du 28 juin 2017 à 17h24. Cette revue n’hésite pas à titrer soi-disant sur la base de l’article : « VIDEO. Gels antibactériens: Deux cents spécialistes alertent sur leurs dangers pour la santé ». Les bras vous en tombent en voyant que ce média n’hésite pas à faire porter en message princeps à ces 200 scientifiques internationaux qui ne le sauront jamais quelque chose qu’ils n’ont jamais écrit.
Faut-il y voir de la malveillance je n’en sais rien mais à tout le moins une légèreté et une inconséquence qui interrogent. Après la mécanique implacable est parfaitement huilée. Tous les médias s’emparent de l’aubaine, personne ne vérifie la source, chacun acère sa lame de 140 caractères et la viralité en ligne fait le reste. Et d’une simple lecture erronée initiale, on arrive de fil en aiguille, comme il y a 2 ans, à des vérités livrées comme absolues via les plus grands médias français allant jusqu’à l’affirmation tout de go que les gels hydroalcooliques sont plus dangereux que les bactéries elles-mêmes.
On pourrait presque en sourire s’il n’y avait hélas des dommages collatéraux que je l’espère aucun de ces zélés rédacteurs ne mesure. En effet suite à la vague les professionnels de santé, déjà fortement échaudés il y a deux ans, s’alertent et s’inquiètent instantanément et de façon légitime sur les risques auxquels on les exposerait sans les en informer. Malgré l’allant et l’enthousiasme des hygiénistes à contrer ce énième vent contraire à la prévention, il est évident qu’au décours, cette défiance confortée entrainera une baisse de la fréquence de l’hygiène des mains en milieu de soins. L’article de 20 minutes n’en sera pas la seule cause mais servira à nouveau de catalyseur. Derrière cela il y aura des patients contaminés, des patients infectés, des patients qui souffriront, qui auront des séquelles de leur complication infectieuse voire qui en mourront. Personne ne saura jamais faire le lien entre ces évènements mais pourtant il sera réel. Et l’auteur de ce titre accrocheur sera peut-être le premier à venir nous interpeller pour nous demander, lors d’un épisode médiatisé d’infections associées aux soins, pourquoi le niveau d’hygiène des mains est-il si imparfait en milieu de soins. Et il manifestera probablement une compassion sincère pour les victimes de sa prose. Ironie cruelle de la vie.
Alors évidemment notre devoir est de faire valoir notre point de vue et notre expertise et plusieurs hygiénistes, pas assez nombreux encore, ont réagi en particulier via Twitter et je les en remercie. Nous devons assumer à nouveau notre mission d’information et rappeler que les gels hydroalcooliques utilisés en milieu de soins ne contiennent ni Triclosan ni Triclocarban et inciter chacun à en vérifier la véracité via la composition affichée sur le flacon du produit. Chacun est incité à en faire de même dans leur vie de tous les jours où nous pouvons acheter des produits qui ici en contiennent. Mais là encore faisons-le avec discernement et nos fameux 200 penseurs disent bien, dans ce très bon article que personne hélas n’a lu, que ces deux produits peuvent avoir un bénéfice supérieur au risque lorsqu’ils sont prescrits pour des pathologies gingivales. Attention donc à ne pas sombrer dans le manichéisme réducteur de la simplification des idées poussée à son paroxysme.
Les spécialistes de l’hygiène sont mobilisés depuis des années avec les services de santé au travail et en collaboration avec les industriels pour mettre à disposition des professionnels des produits toujours plus sûrs. C’est une des préoccupations premières de la SF2H qui pour cela a créé un partenariat l’année dernière avec l’Institut de santé et sécurité au travail (INRS). La réglementation européenne dite Biocides qui se met en place progressivement depuis plusieurs années vise d’ailleurs à éliminer tous les composants chimiques à risque parmi les désinfectant qui sont la catégorie 1 de ces produits biocides dans la législation. A ce titre le Triclosan n’a pas obtenu d’agrément comme le stipule la décision du 27 janvier 2016.
Au-delà de cet aspect la réflexion sur les perturbateurs endocriniens et l’écotoxicité nous concerne tous en tant que professionnel et citoyen. On ne passera pas de tout à rien en un claquement de doigt mais dans cette réflexion écologique il faut faire preuve à la fois de sérénité et de détermination afin que le mouvement vers une prise en compte permanente des risques environnementaux pour la santé devienne un automatisme irréversible. C’est une démarche dans laquelle s’inscrit la SF2H.
Après, il y a hélas une exception culturelle française et aucun pays ne pâtit comme nous d’attaques médiatiques incessantes contre les solutions hydroalcooliques. En rendre les seuls médias responsables serait à la fois simpliste et contre-productif. Cela démontre aussi que notre reconnaissance et notre crédibilité sont encore trop faibles sur cette scène-là et la responsabilité nous en incombe aussi. La sortie en fin d’année de nos nouvelles recommandations sur l’hygiène des mains sera l’occasion d’essayer d’aller à la rencontre des médias sous une modalité que l’on espère innovante et attrayante avec cette fois à la clé peut être un « good buzz ».
Pierre Parneix
Président de la SF2H
Comme en 2015, l’affaire repart d’un article américain publié dans Environmental Health Perspective cette fois d’un niveau scientifique de meilleure qualité d’ailleurs. Suite à l’interdiction en 2016 par la FDA américaine dans les savons antiseptiques grands publics de deux produits à visée antimicrobienne que sont le Triclosan et le Triclocarban des scientifiques se mobilisent pour l’élargissement de cette mesure. Ils rappellent que cet usage dure depuis des décennies et que l’on en trouve encore dans plus de 2 000 produits comme des savons, des dentifrices, des détergents, des habits, des jouets, des tapis, des plastiques et des pentures. A aucun moment il n’est fait mention de gels ou de solutions hydroalcooliques dans cet article.
Pour autant ils furent à nouveau la cible d’un « bad buzz » médiatique de grande ampleur. Dans ce déferlement en chaine il n’est jamais aisé de trouver le déclencheur mais je me risquerais à dire qu’il s’agit du média très connu et lu 20 minutes dans son post du 28 juin 2017 à 17h24. Cette revue n’hésite pas à titrer soi-disant sur la base de l’article : « VIDEO. Gels antibactériens: Deux cents spécialistes alertent sur leurs dangers pour la santé ». Les bras vous en tombent en voyant que ce média n’hésite pas à faire porter en message princeps à ces 200 scientifiques internationaux qui ne le sauront jamais quelque chose qu’ils n’ont jamais écrit.
Faut-il y voir de la malveillance je n’en sais rien mais à tout le moins une légèreté et une inconséquence qui interrogent. Après la mécanique implacable est parfaitement huilée. Tous les médias s’emparent de l’aubaine, personne ne vérifie la source, chacun acère sa lame de 140 caractères et la viralité en ligne fait le reste. Et d’une simple lecture erronée initiale, on arrive de fil en aiguille, comme il y a 2 ans, à des vérités livrées comme absolues via les plus grands médias français allant jusqu’à l’affirmation tout de go que les gels hydroalcooliques sont plus dangereux que les bactéries elles-mêmes.
On pourrait presque en sourire s’il n’y avait hélas des dommages collatéraux que je l’espère aucun de ces zélés rédacteurs ne mesure. En effet suite à la vague les professionnels de santé, déjà fortement échaudés il y a deux ans, s’alertent et s’inquiètent instantanément et de façon légitime sur les risques auxquels on les exposerait sans les en informer. Malgré l’allant et l’enthousiasme des hygiénistes à contrer ce énième vent contraire à la prévention, il est évident qu’au décours, cette défiance confortée entrainera une baisse de la fréquence de l’hygiène des mains en milieu de soins. L’article de 20 minutes n’en sera pas la seule cause mais servira à nouveau de catalyseur. Derrière cela il y aura des patients contaminés, des patients infectés, des patients qui souffriront, qui auront des séquelles de leur complication infectieuse voire qui en mourront. Personne ne saura jamais faire le lien entre ces évènements mais pourtant il sera réel. Et l’auteur de ce titre accrocheur sera peut-être le premier à venir nous interpeller pour nous demander, lors d’un épisode médiatisé d’infections associées aux soins, pourquoi le niveau d’hygiène des mains est-il si imparfait en milieu de soins. Et il manifestera probablement une compassion sincère pour les victimes de sa prose. Ironie cruelle de la vie.
Alors évidemment notre devoir est de faire valoir notre point de vue et notre expertise et plusieurs hygiénistes, pas assez nombreux encore, ont réagi en particulier via Twitter et je les en remercie. Nous devons assumer à nouveau notre mission d’information et rappeler que les gels hydroalcooliques utilisés en milieu de soins ne contiennent ni Triclosan ni Triclocarban et inciter chacun à en vérifier la véracité via la composition affichée sur le flacon du produit. Chacun est incité à en faire de même dans leur vie de tous les jours où nous pouvons acheter des produits qui ici en contiennent. Mais là encore faisons-le avec discernement et nos fameux 200 penseurs disent bien, dans ce très bon article que personne hélas n’a lu, que ces deux produits peuvent avoir un bénéfice supérieur au risque lorsqu’ils sont prescrits pour des pathologies gingivales. Attention donc à ne pas sombrer dans le manichéisme réducteur de la simplification des idées poussée à son paroxysme.
Les spécialistes de l’hygiène sont mobilisés depuis des années avec les services de santé au travail et en collaboration avec les industriels pour mettre à disposition des professionnels des produits toujours plus sûrs. C’est une des préoccupations premières de la SF2H qui pour cela a créé un partenariat l’année dernière avec l’Institut de santé et sécurité au travail (INRS). La réglementation européenne dite Biocides qui se met en place progressivement depuis plusieurs années vise d’ailleurs à éliminer tous les composants chimiques à risque parmi les désinfectant qui sont la catégorie 1 de ces produits biocides dans la législation. A ce titre le Triclosan n’a pas obtenu d’agrément comme le stipule la décision du 27 janvier 2016.
Au-delà de cet aspect la réflexion sur les perturbateurs endocriniens et l’écotoxicité nous concerne tous en tant que professionnel et citoyen. On ne passera pas de tout à rien en un claquement de doigt mais dans cette réflexion écologique il faut faire preuve à la fois de sérénité et de détermination afin que le mouvement vers une prise en compte permanente des risques environnementaux pour la santé devienne un automatisme irréversible. C’est une démarche dans laquelle s’inscrit la SF2H.
Après, il y a hélas une exception culturelle française et aucun pays ne pâtit comme nous d’attaques médiatiques incessantes contre les solutions hydroalcooliques. En rendre les seuls médias responsables serait à la fois simpliste et contre-productif. Cela démontre aussi que notre reconnaissance et notre crédibilité sont encore trop faibles sur cette scène-là et la responsabilité nous en incombe aussi. La sortie en fin d’année de nos nouvelles recommandations sur l’hygiène des mains sera l’occasion d’essayer d’aller à la rencontre des médias sous une modalité que l’on espère innovante et attrayante avec cette fois à la clé peut être un « good buzz ».
Pierre Parneix
Président de la SF2H